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3 février 2019

UNE AUTRE CHANSON DE MANDRIN

Louis-Mandrin-2

LA BLONDEUR DU MIEL

En février de l'an dernier, histoire de soulager la planche d'une étagère, je classe de vieux papiers et retrouve les paroles de LA COMPLAINTE DE MANDRIN. J'aimais beaucoup la chanter, enfant, dans ma fratrie.

Cette histoire m'intriguait. Pourquoi ce voleur avait-il mérité une chanson qui traversait les siècles ? Pourquoi partir vendre en Hollande des vêtements volés à un prêtre ? Je voyais le curé de chez moi : mais qui voudrait acheter et porter une soutane semblable à la sienne, une robe sombre et triste ? Comment du haut d'une potence, si haute soit-elle, pouvait-on contempler... la France ? Vraiment, tout un pays ? Quel panorama ! Quel regard ! 

En 1968 ou 1969, alors que je m'esquintais les doigts à plaquer trois accords sur le manche d'une guitare espagnole, je découvrais la version de Guy Béart (avec une modulation qui me parut singulière sur le "vous m'entendez.."). Puis je fus surpris par celle du Quartet de Lyon. Je pris goût à la version d'Yves Montand. Bien plus tard je reçus des échos des Fils de Mandrin du groupe Ange. Près de Vichy j'eus vent de la légende du trésor de Mandrin aux Malavaux (Cusset, Allier). Puis les saisons passèrent.

torture-mandrin

L'an dernier, je mis également la main sur le numéro spécial d'Historia de 1981 "La course aux trésors en France". Dans ces pages, Didier Audinotun chasseur de trésor, (alors directeur de la revue Prospections) signe un article titré Le butin de Mandrin. Dès les premières lignes il évoque trois frères Mandrin : Pierre, Claude et Louis. Pierre, l'aîné, précise-t-il, forme sa propre bande de contrebandiers. Il est assez vite pris et pendu. Audinot précise "... c'est en son honneur qu'est composée la complainte de mandrin". Il n'en dit pas plus à ce sujet, ne cite aucune source. Je suis désarçonné, quoi, le Mandrin de la complainte ne serait pas le bon Mandrin ! Petite recherche : en effet, Pierre Mandrin est jugé à Grenoble, condamné à la pendaison. La chanson cite des juges grenoblois et parle bien de gibet. Son jeune frère, Louis, le fameux Mandrin, sera jugé et subira le supplice de la roue à Valence. Audinot tiendrait-il la vérité ?

Pour entendre un bel éventail de versions diverses et variées de la Complainte, pour tout connaître - ou presque - des mandrinades, courir et sauter illico à deux pieds dans le site Mandrin, bandit ou héros ? C'est une belle banque de ressources qui vaut le détour. 

Unknown

Quant à moi, j'ai plongé dans Les Brigands d'Henri Pourrat. Il consacre presque vingt pages à Mandrin : "Il y avait une fois un garçon qu'on appelait Louis Mandrin, né dans la montagne du Dauphiné, à Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs." Les Brigands, l'un des recueils du fabuleux Trésor des contes, n'est pas un livre d'Histoire, je veux dire l'ouvrage d'un historien. Henri Pourrat marche, traverse son pays en recueillant et rassemblant des contes. Les pages consacrées à Mandrin, Pourrat les débute selon l'usage du merveilleux, il développe la légende, le mythe, n'économise guère l'extraordinaire (Louis serait né poilu comme une bête et la bouche munie de toutes ses dents, zeste et peste !). Puis il cesse de rapporter les rumeurs, s'arrête : "Non, non, non ! Contes idiots! Tout le vrai de cela, c'est que Mandrin a eu à pâtir des procédés de la Ferme." Il raconte désormais au plus près des faits et gestes du contrebandier rebelle, en guerre contre les Grands Fermiers Généraux, entendons bien, il s'oppose au système fiscal... Là, l'écrivain se fait plus historien que conteur. Enfin, il s'attarde sur une anecdote, il la déploie en romancier. C'est là qu'il excelle, c'est alors que j'aime sa langue, ses tournures, sa perception des choses. Voyons cela.

L'événement se déroule près de chez lui, à quelques jets du Vernet-sur-Varenne où il s'installe durant une moitié de l'année. Pour être précis nous voici à Fix-Saint-Geneix (Geneys désormais). Vingt-quatre décembre 1754. Talonné par les chasseurs de Fischer, menacé par les dragons de La Morlière, Mandrin et ses compagnons arrive à Fix à l'heure de la messe de minuit. Je vous lis la suite...

Ce moment de tendresse entre Louis Mandrin, l'ennemi public numéro un et la jeune paysanne inconnue me plaît beaucoup. Je le relis plusieurs fois. Le brigand ne reviendra pas, on connaît la suite au château de Rochefort et la fin à Valence. Mais qu'est devenue cette fille ? Si le fait est authentique, si Henri Pourrat a recueilli cette anecdote de la bouche des gens de Fix qui en ont conservé le souvenir comme on se transmet un secret, sait-on quel fut le regret, le chagrin de celle qui aurait pu devenir l'épouse du bandit ? Tenté en un premier temps de raconter cette suite-là, je m'en tiens finalement à écrire une autre  chanson de Mandrin en transposant cette soirée de Noël, de l'arrivée de la bande à Fix jusqu'à leur départ précipité. Zou, papier, crayon, première étape du brouillon.

Numériser 1

Selon mon habitude, j'ai besoin d'une structure, d'un rythme, d'une cadence, d'un bout de mélodie pour placer les mots, les syllabes. Une suite d'accords à la guitare.

Je m'applique à suivre le récit de Pourrat, j'en tire une douzaine de moments, de tableaux, j'imagine douze couplets de quatre vers. Mais assez vite je les rassemble deux par deux, et modifie au piano la mélodie de la seconde partie de chaque couplet.  

Je décide de ne nommer Louis Mandrin qu'aux dernières lignes, après même son départ et de laisser entendre qu'afin de protéger la jeune fille, de lui éviter tout éventuel tracas pour avoir osé s'éprendre du vil contrebandier, les gens de Fix décident de taire son nom. On respectera son chagrin par amitié peut-être envers son père, par amitié sans doute envers ce Mandrin qui égaya pareille nuit de Noël !

Le refrain ? Il doit traduire mon sentiment, ce que je retiens de cette histoire : la tentation qui traverse Louis de lâcher ses campagnes, sa révolte contre l'autorité royale et de jouir d'une existence pacifiée dans la rondeur des saisons. Rondeur... couleur... douceur... saveur... d'hésitation en hésitation je suis arrivé à formuler : "Et si la vie prenait rondeur d'arc-en-ciel, et si la vie prenait la blondeur du miel ?"

 

Numériser

Je lis à cette époque Les Indiens d'Amérique et leur musique de Frances Densmore. Dans la partie "Quelques particularités de la musique indienne", je remarque : "Une opinion courante sur les chansons indiennes veut qu'elle commencent haut, se terminent bas et soient plus rythmiques que mélodiques. D'une façon générale, cela s'avère juste."  

J'écoute un CD de musique amérindienne pour vérifier par moi-même.

Je compose la phrase mélodique de mon refrain sur cette même ligne descendante avec, petite curiosité, un triolet final.

Les paroles finales ? Voir LA BLONDEUR DU MIEL

En public, j'introduis cette chanson en évoquant Mandrin, Pourrat et Fix-Saint-Geneys... Pourquoi ne pas laisser la surprise de découvrir qu'il s'agit du célèbre brigand ? Au contraire,  le savoir augmente l'attention de l'auditeur. Un peu dans l'esprit des Columbo : on connaît le fin fond de l'air et de la chanson mais l'on veut assister à l'enquête, on désire se laisser mener par la manière dont on va nous raconter cette affaire-là.

Voir aussi MA CHANSON EST UN MADRAS & FRANCHIR LE SEUIL DE L'ATELIER

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Commentaires
C
Guy Beart a aussi enregistré la complainte de Mandrin<br /> <br /> https://www.ina.fr/video/I10334731
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